George Steiner, maître de l'uppercut verbal et ennemi du fascisme de la vulgarité
Toutes les semaines, le journal Service Littéraire vous éclaire sur l'actualité romanesque. Aujourd’hui, retour sur la réédition d’une partie de l’œuvre de Steiner, une belle façon de converser avec lui.
1200 pages d’intelligence pour 25 €. Ce n’est pas cher surtout quand on songe au salaire astronomique des footballeurs qui n’ont pas 1% du talent de Steiner. Des ouvertures lumineuses, il y en a plein le Quarto que lui consacre Gallimard. À propos de football, Steiner a déclaré qu’au hit-parade de l’orgueil national, Beckham dépassait Shakespeare, Darwin et Newton, tout simplement parce qu’il donnait de la joie aux fans devant la télévision. Et lorsque Maradona a crié « C’est la main de Dieu ! », George Steiner déclara que l’Argentin était le plus grand métaphysicien du siècle car “el Pibe de Oro” fit preuve d’humour et de théologie. Tout ça décrit parfaitement l’esprit de l’essayiste qui pose un regard périphérique sur l’existence, ne frappant pas d’ostracisme une actualité qui a priori n’entre pas dans son œuvre. Au fond de lui, George Steiner sait très bien que la grande musique et un grand texte procurent encore plus de joie qu’un but, mais les gens ne le savent pas car ils sont abrutis par le déferlement médiatique de la médiocrité. « Tu ne seras pas celui qui écrit la lettre, tu seras le facteur. » Cette phrase de Pouchkine convient George Steiner qui ne s’empêche pas pour autant de noircir du papier. La preuve, ce pavé publié sous la direction de Pierre-Emmanuel Dauzat, l’un des meilleurs exégètes de Steiner qui dérange l’intelligentsia hostile aux esprits indépendants. Il faut savoir que le petit George Steiner a entendu les discours d’Hitler retransmis la TSF. « Mon père savait ce qui allait arriver. » Cette période de sa vie est évoquée dans “Errata” (1997), son autobiographie étincelante si loin de la logorrhée des maîtres-penseurs du Tout-Paris qu’il dérange tant. Il suffit de lire l’épisode de son dépucelage pour (...)